Le bruit du mensonge
Six mois qu'il court encore. Qu'il court toujours. Qui ? Saddam Hussein ? Non, le mensonge. Souvenez-vous, une menace pour la paix du monde, un danger imminent. Des armes chimiques partout. Invisibles, enterrées sans doute, mais partout. Et des engins à mise à feu mortelle en quarante-cinq minutes chrono.
Sait-on le bruit que fait un mensonge ? D'abord il faut l'imaginer. Gros de préférence. Il passera mieux le mur du son. Un mensonge énorme. Et porté par la voix de l'Amérique. Il sera entendu à coup sûr. Prévoir des racontars britanniques. C'est toujours chic dans le tableau, un renseignement même frelaté venu des services de Sa Très Gracieuse Majesté.
Fournir aussi des photos d'armes fatales, même floues, des conversations téléphoniques accablantes, même inaudibles. Ajouter au besoin des barres d'uranium mystérieusement passées du Niger à Bagdad. Désigner un Colin Powell pour frapper les imaginations.
Ensuite, vacciner des milliers de marines contre la variole et l'anthrax. Cela fait plus sérieux. Penser "11 septembre = Ben Laden", mais crier "Saddam, Saddam !" comme on crierait le nom de Satan.
Puis frapper l'Irak. Frapper à la tête, frapper devant, derrière, partout. Le Bien y reconnaîtra les siens.
Alors, écouter le bruit qu'il fait, le mensonge. C'est simple à reconnaître, au début. Bruit de bombes et de mitraillettes, de missiles qui tombent et de lance-roquettes. Mais attention, le silence qui suit, c'est toujours la guerre. Et toujours le mensonge. Sinon, pourquoi mourrait-on encore autant en Irak, une fois la paix officiellement déclarée par George W. Bush ?
Il est parfois subtil, le bruit du mensonge. A-t-on entendu l'écho d'un suicide dans la campagne anglaise, celui du savant Kelly qui en savait trop, et en avait-il trop dit ? David Kelly, mort d'avoir parlé vrai sur l'exagération de la menace irakienne par Londres et Washington.
Face à la vérité, persister dans le mensonge. Offrir des millions de dollars pour la tête de Saddam et de ses fils, et aussi à qui donnera des tuyaux, bons cette fois, sur l'emplacement des armes chimiques. Le dollar, après tout, c'est la signature de l'Amérique. Le procédé est un peu vulgaire, coûteux aussi, mais la guerre, que l'on sache, ce n'est pas un concours d'élégance.
S'entêter. S'obstiner. Et six mois après la chute de Bagdad, à raison d'un soldat américain tué par jour de "paix", sans oublier la mort violente d'un émissaire des Nations-Unies, d'un dignitaire religieux et de la seule femme membre du nouvel embryon de gouvernement en Irak, appeler Condoleezza Rice à la rescousse.
La conseillère de George Bush pour la sécurité nationale vient ainsi d'être mandatée pour justifier la guerre. Le président va aussi payer de sa personne avec des causeries radiophoniques, chaque samedi pendant un mois, et consacrées à l'Irak.
Que Saddam Hussein ait été un fléau pour son peuple, nul n'en doute. Mais le mensonge perdure sur les véritables visées américaines. Pendant ce temps, on entend le bruit du pétrole brut s'écoulant dans les pipelines gardés jusqu'aux dents par des snipers américains. Comme le bruit d'une vérité qui éclate.
Eric Fottorino, Le Monde, 09/10/2003
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